Pornographie enfantine et liberté d’expression

Dans l’arrêt Karttunen c Finlande, la Cour européenne a défini la distribution de la pornographie juvénile comme étant un exercice de la liberté d’expression. Cependant, elle n’a guère justifié cette position. Rónán Ó Fathaigh se demande si la Cour a eu tort et si elle va devoir se justifier.

Dans une décision de recevabilité en 2011, la Cour européenne des droits de l’homme a examiné pour la première fois la question controversée de la criminalisation de la pornographie juvénile et sa compatibilité avec la liberté d’expression. La question soumise à la Cour était de savoir si la condamnation d’un artiste pour avoir inclus de la pornographie enfantine dans une exposition d’art violait le droit à la liberté d’expression en vertu de l’article 10 de la Convention européenne.

La requérante dans l’arrêt Karttunen c Finlande était une artiste qui avait inclus des centaines de photographies de mineurs engagés dans des actes sexuels dans une exposition intitulée «l’église de la Sainte-Pute ». Cette exposition était présentée dans une galerie de Helsinki. La requérante avait téléchargé des images librement disponibles sur Internet, et le but de l’exposition était d’encourager la discussion sur la facilité d’accès à la pornographie juvénile ainsi que son existence généralisée.

Le jour de l’ouverture de l’exposition, la police finlandaise a saisi les photos et l’exposition a été fermée. Le ministère public a engagé une procédure contre le requérant, et elle a été reconnu coupable de possession et de distribution de films obscènes qui montrent des mineurs. Toutefois, les juridictions finlandaises ne lui ont pas imposé de sanction, en tenant compte de son intention de provoquer une discussion générale, et du caractère mineur et excusable des actes. Les juridictions internes n’ont ordonné que la confiscation des images.

Par conséquent, l’artiste a fait une demande à la Cour européenne affirmant que sa conviction constituait une violation de son droit à la liberté d’expression consacré par l’article 10 de la Convention européenne. Le tribunal a tout d’abord considéré que malgré l’absence de sanction à l’encontre de la requérante, la conviction seule représentait une ingérence dans son droit à la liberté d’expression. La question cruciale pour le tribunal était de savoir si l’ingérence était «nécessaire dans une société démocratique».

Afin de déterminer la nécessité de l’ingérence, la Cour a déclaré que les artistes qui exercent leur liberté d’expression sont soumis à des droits et des responsabilités. En même temps, le tribunal a affirmé qu’il se penchera sur les travaux artistique dans le contexte de leur exposition.

La Cour a accepté que la criminalisation de la pornographie juvénile était basée sur l’objectif de la protection des enfants contre les abus sexuels, leurs droits à la vie privée, ainsi que des considérations morales. Il a noté que les juridictions finlandaises ont reconnu les bonnes intentions de la requérante et n’ont pas imposé  de sanctions. Toutefois, le tribunal a décidé que la possession et l’exposition publique de la pornographie juvénile était encore soumis à une responsabilité pénale. Il a déclaré que les juridictions internes ont mis en équilibre la liberté d’expression avec les intérêts compensatoires, et que la condamnation a répondu à un réel besoin social. Ainsi, la Cour a conclu que l’ingérence dans la liberté d’expression était proportionnée au but légitime poursuivi.

C’était la première fois que la Cour européenne examinait la question de la pornographie juvénile. L’aspect le plus frappant de cette décision est que la Cour semble dire que la distribution et la possession de pornographie juvénile constitue un exercice de la liberté d’expression. C’est sur cette base qu’elle s’est demandée sur empêcher cette expression pouvait être légitime. Cette approche contraste fortement avec l’approche catégorique de la Cour suprême des États-Unis, qui considère la pornographie juvénile impliquant des mineurs comme une expression non protégée par le premier amendement (voir Ferber v New York).

Le tribunal peut être critiqué pour ne pas avoir pleinement pris en considération certaines questions. En particulier son incapacité à distinguer entre la production, la distribution et la possession de pornographie juvénile est problématique. Ces distinctions sont fondamentales et ont été faites par de nombreux tribunaux supérieurs à travers le monde étant donné que les justifications de la criminalisation de la production et de la distribution de pornographie juvénile ne sont pas forcément les même que celles relatives à la simple possession de matériel pornographique juvénile (voir Osborne c Ohio et le jugement de la Cour suprême du Canada dans l’affaire R. c Sharpe).

Ne pas reconnaître ces distinctions peut être lié au fait qu’en l’espèce il s’agissait d’une décision sur la recevabilité plutôt que d’un arrêt de chambre. L’affaire Karttunen reflète une tendance récente dans la jurisprudence de la Cour européenne où les questions fondamentales ne sont examinées que au stade de la recevabilité. Cependant, l’inconvénient de cette approche est le manque d’arguments dûment motivées du demandeur et du gouvernement, ce qui prive la cour d’arguments importants quand elle formule ses conclusions.

Ce dernier point se confirme lorsque l’on considère que la Cour a simplement approuvé les justifications acceptées par les tribunaux finlandais relatives à la criminalisation de la pornographie enfantine, sans en faire une analyse indépendante selon l’article 10 de la Convention.

La réticence de la Cour à développer ses propres principes concernant la pornographie juvénile a des conséquences sur une question liée à celle-ci, celle de la pédopornographie virtuelle. La Convention du Conseil de l’Europe sur la cybercriminalité oblige les États membres à criminaliser non seulement la pornographie infantile, mais aussi tout matériel qui représente une personne qui apparaît comme un mineur ainsi que les images réelles représentant un mineur. En effet, de nombreux Etats membres sont allés plus loin et ont criminalisé toute pornographie juvénile sous forme de bande dessinée, y compris les manga et les dessins animés.

Ces lois soulèvent des préoccupations légitimes en matière d’expression artistique légitime. En revanche, la Cour suprême des États-Unis a jugé que l’interdiction de représentations de pornographie juvénile constitue une violation du premier amendement de la constitution américaine (voir Ashcroft v Free Speech Coalition). Compte tenu de ces développements, il est bien probable que la Cour européenne sera appelée à se prononcer sur ces questions dans un futur proche. Il est malheureux que le jugement dans l’affaire Karttunen ne fournit pas de principes directeurs sur ces questions.

Rónán Ó Fathaigh est doctorante à l’Université de Ghent, en Belgique. Sa thèse porte sur la liberté d’expression et son effet paralysant. Cette pièce a initialement été publiée dans l’Observateur Strasbourg.

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Le Débat Sur La Liberté d'Expression est un projet de recherche du Programme Dahrendorf pour l'étude de la liberté au Collège St Anthony, Université d'Oxford.

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