Le retour de la censure en Birmanie?

En dépit de son discours sur la liberté de la presse, le Gouvernement birman a présenté un nouveau projet de loi qui contient des dispositions étonnantes par rapport à l’oppression du Conseil de presse qu’il avait créé auparavant. Un rapport d’Ellen Wiles.

Alors que la Grande-Bretagne obtient sa charte royale de la réglementation de la presse, la presse birmane vit un drame sans précédent. Les lois et régulations sur la presse ici se trouvent sous surveillance, et les enjeux sont considérables. Ce pays a connu près de cinquante ans de censure, avec des milliers d’écrivains, de journalistes et de rédacteurs incarcérés en tant que prisonniers politiques. Pendant la même période, la publication de beaucoup d’articles, de poèmes et des livres a été bloquée. Heureusement que les deux dernières années ont vu des progrès remarquables concernant la liberté de presse: la censure préalable a été abolie, l’accès à de nombreuses nouvelles de l’étranger et des sites de réseaux sociaux ont été débloqués. En même temps, le monde a célébré la libération des centaines de prisonniers politiques. Mais l’autocensure reste très répandue et la peur persiste. Beaucoup de vieilles lois et de contrôles oppressifs persistent. Il y a encore des prisonniers politiques enfermés pour leurs écrits critiques sur le Gouvernement. Avant que la de liberté de la presse ne puisse être atteinte, il doit y avoir une réforme juridique basée sur la consultation ainsi que la création d’un conseil de la presse indépendant. Cependant, par un geste surprenant du ministère de l’information, de nombreux commentateurs viennent de conclure que la censure est de retour en Birmanie.

Sans aucun avertissement aux médias ou au public, le ministère a publié un projet de loi concernant la presse et l’édition. Ce projet de loi a été publié dans le journal officiel du Gouvernement, le New Light of Myanmar, exclusivement en langue birmane (ce qui protège ce projet de loi des regards indiscrets des inquisiteurs étrangers). Ce projet vise à remplacer l’une des anciennes lois sur la censure. Un objectif louable, ci ce n’était le fait que la nouvelle loi se contente de perpétuer les restrictions oppressives qui pèsent sur la presse.

Le projet prévoit que toute publication peut être déclarée illégale pour des raisons définies très largement comme «la perturbation de la primauté du droit» ou «la violation de la Constitution». Le projet accord le pouvoir aux «officiers de registration» de suspendre ou révoquer des «certificats de reconnaissance», un euphémisme pour les licences. Les licences sont clairement contraires aux normes internationales du droit de la presse, car ce mécanisme permet au gouvernement de choisir ou de rejeter des publications. Le nouveau projet de loi crée même des infractions qui reproduisent les anciennes infractions d’autorisation de la censure, mais avec des peines légèrement moins strictes. Par exemple, ne pas enregistrer les sociétés d’impression ou de publication auprès du Gouvernement peut entraîner une peine de prison allant jusqu’à six mois et des amendes pouvant aller jusqu’à £ 7500. Cela ne reflète guère les conseils que le Gouvernement a reçu au cours des deux dernières années, par des organisations spécialisées dans les médias et des ONG au sujet de la liberté d’expression et du droit de la presse.

Pour mettre ce projet de loi dans son contexte, il convient de rappeler les caractéristiques de base d’un bon système juridique et réglementaire pour la presse. Au minimum, un tel système devrait inclure la protection de la liberté d’expression à la fois comme droit de l’homme et droit constitutionnel ainsi que des lois sur la presse étroitement rédigés et peu restrictives, et un système de régulation de la presse indépendant du contrôle et des interférences gouvernementales.

Heureusement, les deux dernières années ont vu une série de changements axés sur la démocratie en Birmanie, dont beaucoup sont directement liés à la liberté d’expression et ont émané du ministère de l’Information. Avec la levée de la censure avant publication, les journalistes et écrivains étaient devenus apparemment libres de publier ce qu’ils souhaitaient. Je dis «apparemment» parce que les changements positifs du régime de censure qui ont eu lieu depuis 2011 n’ont pas encore été suffisants pour éliminer les vieilles craintes qui se manifestent autour de l’autocensure généralisée. Il y a de bonnes raisons pour croire que ces craintes subsistent. En effet, cinq membres du Parti de la démocratie du peuple ont été arrêtés dans l’Etat du Kachin depuis Octobre 2012 pour l’impression des allégations de corruption contre le Gouvernement dans  un bulletin. Cela souligne que, alors que le Gouvernement a entamé beaucoup d’actions apparentes pour la liberté de la presse, elles étaient insuffisantes pour changer l’attitude du public. Ainsi, des lois et règlements efficaces doivent être mis en place à travers un processus consultatif transparent, afin d’éviter de tels abus de la liberté de la presse. Sinon, un future changement de mentalité du Gouvernement pourrait entraîner un retour rapide des pratiques oppressives envers la presse et les médias communautaires, sans aucun recours juridique.

La garantie de la liberté des médias la plus importante est la protection de la liberté d’expression comme un droit fondamental et constitutionnel. Des droits sous cette forme sont difficiles à changer une fois qu’ils sont implantés car ils sont mis en place pour s’assurer que leur protection reste stable tout au long des changements politiques et des lois et règlements ordinaires. La Birmanie n’est pas un pays signataire du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), dont l’article 19 énonce le standard international relatif à la liberté d’expression. Il dispose que toute personne a le droit d’avoir des opinions sans ingérence et de jouir de la liberté d’expression, un droit qui comprend la liberté de rechercher, de recevoir et de répandre des informations et des idées de toute sorte, sans se soucier des frontières, sous une forme orale, écrite, imprimée ou sous la forme d’art, ou par tout autre moyen choisi. Selon le PIDCP, ce droit peut être soumis à certaines restrictions, mais seulement celles prévues par la loi et qui sont nécessaires pour le respect des droits ou de la réputation d’autrui ou pour la protection de la sécurité nationale ou l’ordre public ou de la santé ou la moralité publiques. En revanche, la Constitution birmane de 1975, en place depuis plus de 30 ans, comprend une provision sur la protection de la libre expression, mais seulement dans la mesure où cette expression n’était pas contraire aux intérêts des travailleurs et du socialisme. La constitution actuelle de 2008, qui veille à ce que la proportion de base du Gouvernement comprend des membres de l’armée, contient une protection de la liberté d’expression rédigée de manière minimale et réservée aux seuls «citoyens» (ce terme est défini comme excluant des groupes tels que les musulmans Rohingya dans l’Etat Rakhine) qui peuvent «s’exprimer et publier librement leurs convictions et opinions», mais seulement à condition que l’exercice de ce droit ne soit pas contraire au «devoir» de tous les citoyens, de «défendre la non-désintégration de la solidarité nationale». Ce devoir est formulé si largement qu’il pourrait être interprété comme interdisant un écrit publié qui critique le Gouvernement. On pourrait aller jusqu’à dire que la constitution est en faveur de la censure.

Au niveau de la législation nationale en Birmanie, un certain nombre de lois oppressives qui forment les piliers du régime de censure restent en vigueur. La loi de 1962 sur l’enregistrement des éditeurs et des imprimeurs en constitue un exemple clé. Elle prévoit qu’aucune personne ne peut s’engager soit dans l’impression ou la publication sans certificat d’immatriculation «et en conformité avec les règles et les exigences du règlement des imprimeurs et des éditeurs du conseil central d’enregistrement qui fait partie du ministère de l’information» (qui a maintenant été remplacé par ou renommé comme le conseil de surveillance de la presse). Selon les normes internationales du droit de la presse, les licences et les enregistrements ne sont pas acceptables, sauf si un système d’enregistrement est léger et non associé à des conséquences punitives. Cela n’a pas été le cas en Birmanie, où les anciens prisonniers politiques du monde des médias ont, à plusieurs reprises, été privés de l’octroi de licences. Le résultat est que les journalistes intelligents et dévoués tels que Ma Thida, un ex-prisonnier politique, ne peuvent travailler que en tant que employés de leurs propres journaux.

Un ensemble particulièrement draconien des règles émises en vertu de cette loi était contenu dans un «mémorandum à tous les imprimeurs et les éditeurs concernant la soumission de manuscrits pour examen», publié en 1975. Le contenu de ces règles serait comique s’il n’avait pas été à l’origine de nombreux emprisonnements. Ces règles imposaient à tous les éditeurs de présenter leurs livres, leurs revues et leurs bulletins au conseil d’administration avant leur publication, de sorte qu’ils puissent être «examinées pour voir si oui ou non ils contiennent un quelconque élément préjudiciable à l’idéologie de l’Etat … des idées et des opinions erronées qui ne concordent pas avec le temps … des descriptions qui, bien que correctes de par leurs faits, ne conviennent pas à la cause du temps ou les circonstances de leur écriture … toute critique d’un type non constructif du travail des ministères ». Le résultat était que les rédacteurs ont dû payer des frais pour produire leurs magazines ou des livres prêts à être commercialisés, les envoyer à un agent de la censure, et attendre leur retour. Souvent des histoires courtes ou des poèmes avaient été arrachés, ou des lignes sélectionnées et repeintes de sorte que les anciens mots ne pouvaient plus être lus. Ceci était alors la forme que la publication devait prendre, aux frais monétaires de l’éditeur et aux frais de réputation de l’écrivain. Heureusement, que ces règles particulières ont été supprimées. Cependant, il peut toujours y avoir une obligation légale de licence des éditeurs et un examen après publication peut être exigé par le Conseil de surveillance de la presse.

Une autre loi oppressive demeure en vigueur, celle sur la protection de l’État qui date de 1975. Cette loi a été décrite par le Conseil des Avocats en Birmanie comme la «loi plus large dans le monde». Elle autorise le Gouvernement à restreindre «tout droit fondamental de toute personne … qu’il croit être sur le point de commettre un acte qui met en danger la souveraineté et la sécurité de l’État ou la paix et la tranquillité publiques». En outre, cette loi donne au Gouvernement le pouvoir de détenir toute personne sans jugement pendant une période allant jusqu’à 90 jours et prolonger cette détention pour une période n’excédant pas 180 jours, et, si nécessaire, de limiter le mouvement d’une personne pour une période allant jusqu’à un année. Cette loi a été utilisée pour détenir Aung San Suu Kyi en résidence surveillée, ainsi que pour emprisonner de nombreux écrivains et journalistes moins connus.

De plus, il y a la loi sur les transactions électroniques de 2004. Cette loi a été utilisée pour emprisonner des jeunes blogueurs comme Nay Phone Latt, qui ont communiqué au monde des nouvelles d’événements tels que la révolution du safran de 2007. Cette loi définit comme infraction passible d’une peine allant jusqu’à 15 ans d’emprisonnement et d’une amende l’utilisation de «la technologie des transactions électroniques» afin de procéder à «un acte préjudiciable à … la paix et la tranquillité de la solidarité nationale ou de l’économie nationale ou de la culture nationale», ou pour recevoir, envoyer ou distribuer «toute information relative aux secrets de la sécurité de l’Etat ou de la prévalence de l’ordre public ou de la collectivité, la paix et la tranquillité ou la solidarité nationale ou de l’économie nationale ou la culture nationale». Selon cette loi, un courrier électronique à un ami qui mentionne une nouvelle exposition d’art dans la ville pourrait être suffisant pour vous envoyer en prison.

Heureusement, le Gouvernement envisage maintenant d’abroger ces lois. Toutefois, il veut les remplacer d’abord, et la tâche de rédiger les lois de remplacement sur les médias a été attribué au nouveau Conseil de la presse intérimaire. Cela conduit à la deuxième raison pour laquelle le nouveau projet de loi du ministère a provoqué une telle controverse: il entre directement en conflit avec le nouveau projet de loi sur la presse, qui est actuellement produit par le Conseil de presse intérimaire. Le ministère a créé ce conseil et a cédé ses fonctions, et pourtant sa décision de publier ce projet de loi était une décision d’usurper ses fonctions. Pour commencer à comprendre cette apparente énigme, il convient de noter que le gouvernement avait de la difficulté avec le concept d’un conseil de la presse depuis le début. Sa première tentative l’an dernier était la convocation silencieuse d’un «comité de déontologie»; un quorum de professionnels des médias qui avait des liens avec le Gouvernement militaire, principalement à travers des participations dans les différentes revues de presse. Ce corps s’est dissout aussi silencieusement qu’il avait vu le jour. Quelques mois plus tard, en août 2012, le Gouvernement a annoncé publiquement, toujours dans le New Light of Myanmar, qu’il avait formé un nouveau Conseil de la presse. Par son nom, ce dernier constitue le type d’organisme de réglementation que les standards internationaux du droit de la presse exigent, et le Gouvernement a peut-être fait ceci en espérant que les observateurs internationaux allaient cocher la case correspondante. Mais, par sa nature, le nouveau conseil n’était pas indépendant du Gouvernement, une caractéristique qui aurait justifié son existence. Ce fait n’a pas échappé aux médias birmans, et il y a eu un tollé immédiat. Le Gouvernement a admis sa défaite, au moins dans une certaine mesure – même si aucune preuve d’une telle concession n’a fait son chemin dans le New Light of Myanmar.

Le Gouvernement n’est pas allé jusqu’à autoriser un conseil de la presse indépendant formé par des journalistes, mais il a nommé un nouveau conseil de presse provisoire qui était un corps hybride, avec au moins certains membres indépendants qui avaient des antécédents dans l’information politique impartiale ou qui avaient même légèrement critiqués le Gouvernement.

Ce conseil de presse provisoire a été expressément chargé de rédiger une nouvelle législation sur les médias et la presse et un code de conduite pour la presse. Il a déjà préparé une série de projets, dans un processus qui a impliqué des consultations avec certains membres des médias. Les projets qu’il a produits contiennent de nombreux éléments positifs, par exemple le fait que l’objectif de la liberté de la presse reçoive une base légale. Il faut dire qu’il y a encore beaucoup de place pour améliorer ses premières ébauches, mais ce projet était prêt à être envoyé aux représentants des médias pour consultation quand le conseil fut surpris par la nouvelle loi du ministère. A peine cinq jours plus tard, le ministère de l’Information a présenté son projet de loi au Parlement, sans aucune consultation ni des médias ni du grand public.

En réponse, toutes les associations des médias indépendants du pays ont publié des déclarations condamnant le projet du ministère. Le Conseil de presse intérimaire a écrit une lettre ouverte au président, au ministre de l’Information, et aux Hautes et Basses chambres du Parlement ainsi qu’aux commissions parlementaires compétentes. Dans cette lettre, le conseil se plaint de l’interférence déraisonnable et inattendue avec ses propres fonctions. Ye Tint, directeur des relations publiques du ministère de l’Information, a défendu le projet de loi sur la base que «d’autres pays ont également des lois de ce genre pour contrôler les risques pour la sécurité de l’Etat ou l’unité de l’État»: à peine un argument convaincant sur le contenu, et certainement pas une explication pour le moment ou le processus en cours.

Pourquoi le ministère de l’information a-t-il décidé de suivre ce cours apparemment bizarre quand il sait que le monde attend de juger si le Gouvernement birman est sérieux au sujet de la réalisation de la démocratie et de l’abolition de la censure? Il est difficile d’éviter la conclusion que c’était précisément parce que le ministère savait ce que le Conseil de la presse intérimaire était en train de rédiger un nouveau projet, contenant des dispositions poussés par des membres plus libéraux et indépendants du Conseil, qu’il voulait imposer sa propre version avant que les fruits de ce travail soient transféré au Parlement. Un membre du Conseil de la presse intérimaire m’a confié que, plus ses membres se sont rencontrés au fil du temps, plus ces personnes nommées qui ont d’abord été considérés comme sympathisants de censure sont devenues influencées par les opinions des membres les pus libéraux. Le ministère s’est rendu compte que l’animal qu’il avait créé avait pris une vie propre. Après tout son discours libéral au cours des deux dernières années, peut-être que le ministère est  devenu incapable de faire face à la réalité de sa perte de contrôle imminente sur la presse.

Les bonnes nouvelles sont que le déchaînement médiatique a provoqué une annonce du Parlement qu’il y aura au moins une discussion retardée sur le nouveau projet de loi du ministère. En attendant, il incombe au Conseil de la presse intérimaire de poursuivre la réforme des médias et du processus consultatifs alors qu’il procède à l’élaboration de leur projet de loi sur la presse.

Il reste à espérer que le gouvernement birman va réfléchir sur ces événements, et se rendre compte que ses actions en matière de réforme légale au cours des prochains mois seront plus éloquentes s’ils démontrent un véritable engagement en faveur de la liberté d’expression dans son cheminement vers la démocratie.

Ellen Wiles est un avocate et écrivaine. Elle a travaillé en Birmanie sur l’état de développement de la législation et de la réforme de la loi sur les médias.

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Le Débat Sur La Liberté d'Expression est un projet de recherche du Programme Dahrendorf pour l'étude de la liberté au Collège St Anthony, Université d'Oxford.

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